du mas du zouave

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Du Rêve à la réflexion

Du Rêve à la réflexion

En cynophilie, on a parfois l’accablante impression d’une percée toujours à refaire. Et le chemin peut paraître difficile, car il l’est. 

Mais l’élevage nous aide à penser que chaque pas en rend possible d’autres. Je ne parlerai pas du hasard et de l’imprévu : l’éleveur trouve toujours quelques erreurs de pronostic. Mais en élevant soit même sur des chiens qu’il connaît bien, avec du rêve et de la réflexion, il en trouvera moins qu’il n’était a craindre. Car si la première vérité en matière d’élevage est la réflexion, c’est une demi-vérité. Elle œuvre sur autre chose. 


Il n’y aurait rien s’il n’y avait cet abîme qu’est le rêve. Je parle d’un rêve possible. Un rêve qui a des bords, des entours. La réflexion sur quelque chose est basée, sur, selon quelque chose, à l’endroit, à l’encontre de quelque chose, sur des significations par différences. Des références quoi. Le rêve évite à l’éleveur de ne penser à la même chose plus d’un instant. Il casse la réflexion, donne du relief, de la couleur, de la profondeur, crée des ouvertures… que la réflexion comble aussitôt, borne, canalise. Et si le rêve se maintient, ce n’est que parce que la réflexion a donné son aval. 


Parce que des chiens ont été observés et étudiés, des pedigrees ont été brassés, mélangés comme des cartes jusqu’à ce que la main se soit arrêtée et qu’un accord ait été trouvé. Jusqu’à ce que le rêve et la réflexion soient maintenant reliés par des fils invisibles. 


Je dis souvent qu’une portée qui est née ne m’intéresse plus. C’est très imagé bien entendu. Parcequ’il faut vérifier que le rêve a les couleurs du réel, pour pouvoir parler d’un nouveau chien capable d’ouvrir un champ, un cycle de rêves nouveaux. Alors le rêve de ce chien là, continue le sillage des précédents rêves, sans forcément trouer des palmarès. Juste tracer une nouvelle route vers le rêve, sans se retourner. Je me moque de vérifier que cette route est bien dans le prolongement de l’ancienne. Il ne me sert à rien de regarder derrière, puisque en rêvant je vois plus loin. Je vois la destination. Ce nouveau chien né chez nous d’un précédent rêve, est une flèche qui tire tout avec lui, fait que nos rêves successifs empiètent légitimement, génétiquement, l’un sur l’autre. On fonctionne ainsi : par construction, en empilant des rêves. 


Un dimanche de fin d'été 2003, j’étais assis dans ma cours, sous ce figuier envahissant, contemplant mon travail de plantation de petites fleurs. Les deux boxes étaient baignés de soleil. En bas, à droite, Nina et Niet, affalés, l’un sur le côté, l’autre sur le dos, profitant de ces derniers chauds rayons de soleil. Ces deux frères et sœur qui petits, n’ont pas voulu mourir, dont personne n’a voulu, je ne peux que les regarder avec beaucoup de satisfaction et de tendresse. Ils m’auront tout donné. Tout ce qu’ils ont pût et certainement plus. A la chasse, en concours ils m’ont émus car ils l’ont fait par amour, par reconnaissance. Du moins ça me plaît de le croire. Je les aime, mais pourtant mon regard glisse sur eux. Il glisse car ils ne pourront hélas jamais prolonger le rêve. Seules, leur sœur Nani, ou leur nièce Tafna, le peuvent. C’est plus fort que moi. Lorsque le chien ne parvient pas à susciter du rêve, alors mon regard glisse indéfiniment sur lui. Et les noires idées, issues des regards échangés, s’ajustent parfois les unes aux autres. Si elles sont réciproques et qu’elles ne sont tempérées par rien d’autre, cela peut aller jusqu’à la rupture définitive. 


A gauche, enchevêtrés l’un dans l’autre, les jeunes : Uléna, la tête reposant sur le ventre de Skipper. Les yeux clos du jeune mâle ne s’entrouvrant qu’à chaque soubresaut caractéristique qui accompagne les rêves de sa demi sœur. Je les vois, là, allongés au soleil…mon regard se pose sur Uléna qui rêve. D’abord immobile…puis en plein galop, à l’arrêt, en mouvement. Toujours le mouvement. Je ne peux me résoudre à la réduire à ce sommeil. Bientôt je ne la vois plus comme elle est sous mes yeux. Je la vois pour ce qu’elle pourra donner. Je la vois comme un rail pour le mouvement de mon rêve d’éleveur. Un rail dans un réseau sans nom. Ou plutôt si: Le réseau du Mas du Zouave. Un réseau de chiens, de points évènements, de rencontres. 


Chaque chien qui m’intéresse est plus loin que lui même. Plus loin, mais sans être une fiction. Cette chienne que touche mon regard, peu la verront (nous sommes en août 2003 et elle est encore loin d'avoir gagné la finale nationale des jeunes!). 


Car j’ai vu et je sais que beaucoup d’autres regards dessinent d’autres rêves, des utopies ou pire : rien. Pas tous, mais beaucoup. 


Voilà, je pense que la notion d'élevage, la conception d’une création n'a pas seulement à voir avec une philosophie du concret, de l'immédiat, de la gagne, de ce qui serait extérieur à toute élaboration imaginaire, de l'ordre du pré réflexif. 


Il n'y a pas de fracture entre la réflexion et le rêve: l'élevage doit être pensé, réfléchi en termes de ce qu’on aimerait qu’il advienne. Mais le rêve est toujours sous jacent de la réflexion.